
Au début c’était mal parti. L’affiche du film ne nous plaisait pas particulièrement. Les bandes-annonces nous arrachaient tout juste un sourire. Le mauvais démarrage au box-office, les critiques sur twitter mais aussi l’absence de réponse de l’équipe de production à notre demande d’interview n’ont pas arrangé les choses.
Mais voilà, il était normal pour nous d’aller voir ‘Le Grand Déplacement’ de et avec Jean- Pascal Zadi. Il faut dire que l’alignement des astres est étonnant : ce film sort deux mois après l’inauguration de l’Agence Spatiale Africaine le 20 avril 2025 au Caire, en Egypte. Début 2023, lorsque l’ASAf est instituée, moins de 50 satellites sont actuellement contrôlés par des États africains. Le continent africain n’est donc pas étranger à l’aventure spatiale.
Le film propose plutôt qu’une dystopie, une projection. Car après tout on ne voit pas pourquoi l’existence de l’équivalent africain de la puissante Nasa serait dystopique. Le continent africain n’est pas homogène, certains territoires continuent de se développer, des gouvernements investissent sur la qualité des infrastructures et réfléchissent désormais aux enjeux de la souveraineté numérique (Maroc en tête).
Les spectateurs voient ainsi des scientifiques africains sollicités pour aller explorer, pour l’organisme panafricain UNIA (dont la directrice est incarnée par Claudia Tagbo au jeu plutôt sobre), une planète, Nardal, qui serait le refuge de tous les africains, maltraités depuis des siècles sur la terre. Jean-Pascal Zadi incarne Pierre Blé, pilote de chasse afro-politain, un peu prétentieux quand il pose les pieds sur le sol ivoirien, indélicat, macho, homophobe, islamophobe, égoïste (et qui en fait ne change pas vraiment tout au long du film). Il est à la manoeuvre pour guider le vaisseau vers la planète Nardal, aux côtés de Abdel Souya, botaniste algérien musulman (interprété par le génial Reda Kateb), Mariama N’Diaye, experte en télécommunications, incarnée par Fadily Camara, Frantz Dubois (l’humoriste Fary), formateur métis qui rejette son côté blanc et Wangari Tamaï (incarnée par l’icône belgo-congolaise Lous and the Yakuza). Rien ne se passe comme prévu, les tensions dans l’équipe sont permanentes. L’humour est présent, féroce et dont on ne sait pas si c’est du lard ou du cochon.
Certains scènes sont poignantes et très vite balancées par des répliques acerbes. Ainsi la détresse de Abdel Souya quand la boussole qui lui indique la direction de la Mecque ne fonctionne plus et qui sombre dans l’alcoolisme. Le film est plutôt bien réalisé, les effets spéciaux honnêtes, on est là devant un divertissement estival classique.Alors certes c’est une fiction mais au niveau de la rédaction, plusieurs choses nous dérangent forcément. Tout d’abord le continent africain est vaste, et très varié au niveau des populations. Le scénario joue sur la prise totale de son destin par le peuple noir contre les blancs d’Europe avec cette image d’ Épinal implicite : Occident = blanc / Afrique : noire. Peu importe que la force et la violence de l’histoire envoient valdinguer dans la réalité ce genre de concept (il y a des millions de blancs en Afrique et des millions de noirs en Europe), certains s’y accrochent pour justifier la mise en place d’un narratif. Dans l’équipe du vaisseau, il n’y a pas de blanc, il n’y a pas de juif (comme si le judaïsme était absent en Afrique) ou de rastafari, bref il y a un parti-pris assez commun/caricatural et les commentaires selon lesquels ce film serait ‘wokiste’ sont totalement à côté de la plaque, c’est simple, ceux qui disent cela n’ont pas vu le film. Qui est capable de mettre mal à l’aise les spectateurs quand l’une des protagonistes rappellent au botaniste musulman le rôle de ses ancêtres dans la traite négrière en Afrique du Nord.

La fin est intéressante avec le discours de Mariama N’Diaye qui rappelle qu’avant de songer à s’installer ailleurs, il faut mettre toutes les compétences pour permettre aux peuples de vivre mieux là où ils sont. C’est une pique à certains gouvernements africains actuels, corrompus, qui font le strict minimum pour leurs populations, qui, usée, envoie ses fils, ses fils dans des conditions souvent sordides, en Europe. C’est là que le parallèle saute aux yeux : il n’y a pas de grande différence entre ces astronautes qui cherchent un eldorado pour sauver leurs frères et soeurs africains et ces milliers d’africain qui dans la vie réelle, chaque année, traversent les déserts et les océans pour …mieux vivre tout simplement.
Certaines réflexions font mouche, comme lorsque l’un des personnage dit qu’au fond ce que fait l’UNIA avec la planète Nardal, c’est ni plus ni moins que de la colonisation. On comprend très vite d’ailleurs, pourquoi pour des raisons pratiques pour le récit, la planète Nardal n’a aucun habitant en dehors d’une sorte de blob visqueux accroché à un rocher. Et c’est l’un des plus grands défauts du film, notamment dans un contexte de divulgation mondiale (mal assumée, certes, mal organisée) : l’altérité alien est complètement évacuée. C’est très étonnant de la part de Jean-Pascal Zadi et Hélène Bararuzunza, au scénario, qui sont capables de nous proposer une histoire qui repose en partie sur des questions identitaires mais qui sont aux abonnés absents pour faire envisager aux spectateurs l’existence d’intelligences aliens. Et là, c’est une vraie déception.
‘Le grand déplacement’ (le titre est, vous l’aurez deviné, une allusion à l’expresssion ‘grand remplacement’ de l’écrivain français homosexuel d’extrême-droite Renaud Camus) est à voir toutefois si vous souhaitez passer un bon moment avec une histoire originale et des répliques qui font mouche.
La rédac








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