Pointe-Noire, République du Congo

Jusque là, on voit que les notions de tabou, secret, du qu’en dira t-on, reviennent souvent au fil des entretiens. La superstition aussi. Quelle que soit la classe sociale. Rappelons que le taux d’alphabétisation au Congo est de 89 % chez les hommes et de 84 % chez les femmes (Conseil de droits de l’homme, 2018). Les superstitions font des ravages, on le voit avec le cas des enfants-sorciers. Au Congo, en République Démocratique du Congo mais aussi dans une moindre mesure en Angola et en République Centrafricaine, des milliers d’enfants sont rejetés par leurs familles, accusés d’être à l’origine de drames. Seule une petite partie est prise en charge par des associations, des ONG.

La République du Congo est confrontée à de nombreux défis. La part de la population vivant sous le seuil international d’extrême pauvreté était de 52,5 % en 2022 (données de la Banque mondiale). La classe moyenne y est fragile et son avenir incertain. Le pays est un terrain fertile pour certains mouvements religieux…jusqu’aux sectes.

Le 4 et 5 octobre 2014, le mouvement raëlien donnait une conférence intitulée Vivre dans le bonheur dans un hôtel de Pointe-Noire. Fondé en France en 1974 par Claude Vorilhon dit Raël, le mouvement fonde sa doctrine sur un supposé contact entre Raël et une race d’extraterrestres très avancée appelée les Elohims. Il soutient le concept de géniocratie, c’est-à-dire que seuls les individus qui ont un quotient intellectuel supérieur de cinquante pour cent à la moyenne sont éligibles à un poste public au sein du mouvement. Quant aux électeurs ils doivent avoir un quotient intellectuel supérieur de dix pour cent à la moyenne. Dans cette géniocratie, Raël prétend incarner le sauveur dont le monde a besoin face à l’humanité qui risque de disparaître à cause d’une guerre nucléaire. Tout adhérent doit verser trois pour cent de son salaire après impôt au mouvement ainsi que l’intégralité de son testament, à l’exception des résidences léguées aux enfants. Le motif avancé pour justifier les cotisations est la construction d’une ambassade devant accueillir les extraterrestres lors de leur arrivée. Au bout de quarante-neuf ans, cette fameuse ambassade n’a jamais vu le jour.

Classé en France en tant que secte depuis 1995, le mouvement semble être considéré comme un courant spirituel de plus en Afrique francophone, spécialement en Côte d’Ivoire où il est assez bien implanté. Il faut dire que Raël lui-même n’hésite pas à fustiger les ravages de la colonisation et invite les africains à supprimer les frontières artificielles et créer une monnaie unique africaine. Un discours qui séduit, forcément. Le 17 septembre 2023, le « guide-évêque » du mouvement au Burkina Faso, Abdoulaye Ouadba, relaie publiquement une intervention de Raël. Celui-ci réitère son « soutien inconditionnel aux dirigeants et aux populations des pays de l’Alliance des États du Sahel actuellement en lutte pour leur souveraineté ». (source Jeune Afrique, 9 octobre 2023)

Les sommes versées au mouvement raëlien ne choquent pas plus après tout que les offrandes versées aux églises évangéliques qui se sont multipliées sur tout le continent ces dix dernières années. L’ennui, c’est que potentiellement, si quelqu’un voit un ovni (voire plus) au Congo, la seule structure vers laquelle il pourrait se tourner serait le mouvement raëlien, qui a fait de la question extraterrestre une religion. En effet il n’existe pas de représentation locale du Mufon. Le Mufon, Mutual UFO Network (réseau de partage sur les ovnis), est une organisation états-unienne à but non lucratif fondée en 1969, qui enquête sur les ovnis. Au fil des décennies, elle est devenue mondiale, même si décriée souvent par les sceptiques pour son manque de rigueur méthodologique. Ainsi, il existe Mufon France, Mufon Italie, Mufon Inde, Mufon Japon, Mufon Qatar, Mufon Royaume-Uni, Mufon Russie, Mufon Turquie etc. L’organisation n’est guère implantée sur le continent africain, à l’exception de l’Afrique du Sud, où elle est représentée par Lee Strydom. Le réseau ufologique en Afrique francophone est à l’état embryonnaire. Il existe une représentation des Repas Ufologiques au Cameroun, peu active, contrairement aux Repas Ufologiques de France. Le principe : des passionnés de la question ovni ou tout simplement des curieux se donnent rendez-vous dans un restaurant pour assister à la conférence d’un expert de ces questions, invité pour l’occasion. Un moment censé être instructif et convivial à la fois. L’ initiative camerounaise revient à Matheo Mapan, à Douala, le dernier repas remonte au 4 septembre 2016. Il existe également un groupe facebook intitulé Ovni-Congo, peu dynamique et qui relaie essentiellement l’actualité internationale, pour le pire et pour le meilleur.

Assistera t-on à l’émergence d’un Baptiste Fricourt congolais, d’un Thibaut Canuti camerounais, d’un Pierre Lagrange centrafricain, d’un Fabrice Bonvin guinéen, d’un Pascal Fechner ivoirien, d’un Jean-Louis Lagneau rwandais ? Est-ce que des réalisateurs locaux, à l’instar de Paul Plumat ou Dominique Filhol en France, vont s’attaquer au sujet ? Nous avons fait allusion dans les lignes précédentes à des personnalités française de l’ufologie, aux raisonnements construits qui ont des convictions fortes sans pour autant être des croyants. Mais fait intéressant, même un courant de pensée ufologique plus ésotérique (de facto plus controversé sans forcément être assimilé au mouvement raëlien) assez bien implanté en France est absent en Afrique francophone. Il n’y existe pas, par exemple, l’équivalent d’une Anne Givaudan, considérée comme une autrice portée sur la spiritualité New Age. Enfin, concernant la question des abductions (supposés enlèvements extraterrestres), si en France, nous avons des psychologues diplômés comme Nicolas Dumont ou Isabelle de Kochko à la pointe sur ce sujet particulier, il n’en existe pas à notre connaissance sur le continent africain, toutes aires linguistiques confondues. Un continent où par ailleurs, la profession de psychologue souffre de nombreux préjugés.

Ce texte est extrait de l’ouvrage ‘La question des ovnis en Afrique Centrale’ de Jann Halexander (novembre 2024)