
Grande Mosquée de Kédougou ou a eu lieu l’observation. On aperçoit le grand baobab qui a permis d’évaluer la hauteur
Par Tristan Routier
Je ne sais même pas exactement ce que j’ai vu cette nuit-là.
C’était en 2005 et nous étions cinq personnes : trois Européens
– Alain, Jonas et moi-même – et deux Sénégalais. Alain et moi
étions étudiants français en histoire africaine à la Sorbonne.
Nous étions en train d’effectuer des recherches sur le terrain
sur nos sujets respectifs. Jonas, lui, était un étudiant allemand
en biochimie qui profitait des congés pour faire un voyage en
Afrique. J’avais fait sa connaissance quelques jours plus tôt à
Tambacounda.
Nous nous trouvions dans le septentrion, à Kédougou, une
petite ville sénégalaise située à la frontière avec le Mali et la
Guinée, dans une zone semi-montagneuse. À l’époque,
Grande Mosquée de Kédougou ou a eu lieu l’observation.
On aperçoit le grand baobab qui a permis d’évaluer la
hKédougou comptait environ 100 000 habitants. Les routes
n’étaient pas goudronnées, et la ville, entourée de brousse,
conservait un charme typique des petites localités africaines.
Les deux Sénégalais qui nous accompagnaient étaient un
aubergiste chez qui nous logions et son ami. Ce soir-là, nous
avions partagé une grande bière en discutant longuement de
spiritualité, de magie et de sorcellerie. Les Sénégalais nous
parlaient de croyances locales : des sorciers capables de se
transformer, de détacher leur tête et de la remettre, autant
d’histoires fascinantes pour nous, les trois Européens.
Vers une heure du matin, l’ami du propriétaire de l’auberge, qui
habitait à l’autre bout de la ville, a décidé de rentrer chez lui. Le
propriétaire a proposé de l’accompagner, et nous avons tous
décidé de les suivre. Il faisait nuit noire, sans éclairage public ni
lune visible. Nous marchions à travers la ville en nous guidant
dans l’obscurité.
Arrivés près d’un grand baobab, à côté de la mosquée
principale, nous avons senti quelques gouttes d’eau. Cela nous
a semblé étrange, car c’était la saison sèche. En levant les yeux,
nous avons vu un ciel dégagé rempli d’étoiles scintillantes, mais
quelque chose clochait. Les étoiles paraissaient clignoter de
manière inhabituelle.
C’est à ce moment que nous avons vu trois boules lumineuses
avancer lentement dans le ciel. Elles semblaient être assez
proche, peut-être la hauteur de trois baobabs (nous étions
juste à côté du grand baobab qui fait face à la mosquée). Ces
boules étaient silencieuses. Elles sont passées au-dessus de nous, en formant un triangle équilatéral, puis elles ont disparu.
La scène n’a pas durée plus de trois secondes.
Nous étions tous stupéfaits. Quand j’y repense, j’ai encore des
frissons. J’ai grandi dans une famille familiarisée avec l’aviation
– mon père travaillait chez Air France. Pourtant, ce que nous
avions vu ne ressemblait à rien de connu. Les Sénégalais, eux,
ont simplement répondu : « Ce sont des sorciers. »
Deux jours plus tard, nous avons visité Iwol, un village des
Bédiks, une petite ethnie d’environ 1 400 personnes vivant
dans les montagnes de Kédougou. Leur culture est unique,
marquée par des rituels, des croyances et une organisation
sociale particulière. Pendant notre visite, nous avons consulté
une voyante locale, une femme âgée qui interrogeait les
esprits. Ceux-ci lui répondaient par des contractions
musculaires de son biceps, produisant de légers claquements.
Selon elle, ce que nous avions vu n’était pas un mauvais
présage. Elle nous conseilla simplement de faire des offrandes
aux ancêtres.

Gomila J., Ferry Marie-Paule. Notes sur l’ethnographie des Bedik (Sénégal oriental). In: Journal de la Société des Africanistes, 1966, tome 36, fascicule 2. pp. 209-250. p. 2019
Cette expérience ne m’a pas perturbé au point de m’empêcher
de dormir, mais elle a continué à me questionner. Nous avons
passé les jours suivants à débattre de ce que cela pouvait être.
Était-ce un phénomène naturel, comme des feux de Saint-Elme
ou de l’électricité statique ? Peut-être des oiseaux nocturnes
réfléchissant une lumière étrange ? Mais rien n’expliquait cette
lueur blanche.
Des années plus tard, j’ai recontacté Alain pour lui en reparler.
Il ne s’en souvenait pas. J’ai ensuite écrit à Jonas, qui m’a
répondu : « Je ne me souviens pas d’un OVNI, mais il y avait
bien quelque chose. Était-ce des oiseaux dans le ciel ou un
autre phénomène ? Je ne pourrais le dire, mais je me rappelle
bien avoir vu quelque chose ce soir-là devant la mosquée ».
Aujourd’hui encore, je ne sais pas si tout cela était réel ou si je
l’ai rêvé tant l’observation a été fugace. Mais cette nuit-là reste
gravée dans ma mémoire.
A la suite de cette expérience j’ai eu vent de récits similaires,
souvent dans des ouvrages rédigés par les chercheurs et
administrateurs occidentaux durant la période coloniale. C’est
le cas d’une anecdote racontée par Edward Evan Evans-
Pritchard, un anthropologue britannique renommé, pionnier
de l’étude des sociétés africaines, connu pour son approche
immersive et ses études approfondies des cultures nilotiques.
Ses recherches explorent la structure sociale, l’économie
pastorale, et la relation des Nuers à leur environnement et à
leur vision du monde. Loin d’être un simple inventaire
ethnographique, son ouvrage intitulé « Les Nuer »1 révèle la
complexité d’une société segmentaire sans autorité centrale
forte, où le bétail joue un rôle central non seulement
économique, mais aussi spirituel. En 1972 il publiera un autre
ouvrage dédié aux pratiques magico religieuses : « Sorcellerie,
oracles et magie chez les Azandé »2.


Lorsque Evans-Pritchard entreprit ses recherches il resta vingt
mois en pays zandé, de 1926 à 1930, plongé dans l’une des
régions les plus inhospitalières d’Afrique. Ce vaste réseau de
marécages le long du Nil Blanc est soumis à des cycles extrêmes
d’inondations et de sécheresses. En saison des pluies, les eaux
s’étendent sur des kilomètres, transformant le paysage en un
labyrinthe aquatique infesté de moustiques. Pendant la saison
sèche, la chaleur accablante et le manque d’eau potable
rendent la vie tout aussi difficile.

Lors de son séjour, il prit conscience que le surnaturel jouait
chez eux un rôle primordial, dans tous les aspects de leur vie
quotidienne.
Les relations avec les populations autochtones ne furent pas
immédiates ni simples. Connus pour leur indépendance
farouche, ce peuple avait résisté aux tentatives de contrôle
colonial britannique. Evans-Pritchard, perçu comme un
étranger et potentiellement un allié des administrateurs, dut
faire face à une méfiance initiale. Il s’efforça de s’intégrer en
apprenant leur langue, en observant leurs rites et en
participant à leur vie quotidienne.
Cette immersion n’était pas sans risques. La tension entre les
Nuer et leurs voisins, comme les Dinkas, ou leurs conflits avec
l’administration coloniale, rendaient la région politiquement
instable. Evans-Pritchard devait naviguer avec précaution pour
éviter d’être perçu comme une menace.
Son travail était également marqué par une solitude profonde.
Vivre parmi les Nuers signifiait être coupé de tout contact
régulier avec ses collègues ou sa famille. Les longues nuits dans
les huttes nuer, entouré de vastes marécages et de bruits de la
faune nocturne, renforçaient ce sentiment d’isolement.
Cependant, c’est dans ces moments qu’il développa une
compréhension intime de leur société, en écoutant leurs récits
et en observant leurs interactions.
C’est au cœur de cet environnement austère et isolé qu’Edward
Evan Evans-Pritchard a vécu une expérience qui allait troubler
son esprit scientifique. Une nuit particulièrement sombre, alors
que la lune était cachée derrière des nuages épais, Evans-
Pritchard se réveilla pour répondre à un besoin pressant. Avec
précaution, il sortit de la hutte en paille qui lui servait d’abri
temporaire et se dirigea à tâtons vers le lieu d’aisance, situé un
peu à l’écart, à la lisière d’un bosquet. Le silence était total,
seulement interrompu par le bruissement du vent.
Alors qu’il avançait dans l’obscurité, il aperçut soudain une
lumière étrange. Une boule lumineuse, d’un blanc pâle,
virevoltait lentement à travers la canopée, oscillant entre les
branches des arbres comme si elle était animée d’une volonté
propre. Fasciné et légèrement inquiet, il resta immobile,
observant en silence ce phénomène inexpliqué. La lumière
semblait danser dans l’air, tour à tour intense et vacillante,
avant de disparaître aussi mystérieusement qu’elle était
apparue. Ébranlé mais rationnel, Evans-Pritchard retourna se
coucher, convaincu qu’il trouverait une explication logique à ce
qu’il venait de voir.
Le lendemain matin, il convoqua son aide de camp, un jeune
homme nuer qui l’assistait dans ses déplacements et ses
besoins logistiques. Evans-Pritchard, le seul dans la région à
posséder une lampe torche – un objet rare et précieux dans
cette zone reculée des années 1930 – lui demanda s’il avait
emprunté la lampe pendant la nuit. Avec sérieux, l’aide de
camp répondit qu’il n’avait pas touché la lampe et qu’il n’était
pas sorti de la hutte.
Intrigué, Evans-Pritchard décrivit alors l’étrange boule
lumineuse qu’il avait observée. À son grand étonnement, le
jeune homme ne sembla pas surpris. « Ce que vous avez vu,
expliqua-t-il calmement, est un signe. C’est l’esprit qui annonce
qu’un notable est mort. » Cette interprétation, enracinée dans
les croyances déstabilisa quelque peu Evans-Pritchard. Pour les
populations zandé, profondément connectés à la nature et aux
forces spirituelles, une lumière dans la nuit était bien plus qu’un
simple phénomène naturel : c’était un présage, un message
venu du monde des esprits.
Bien qu’il fût un anthropologue éminemment rationnel, Evans-
Pritchard ne pouvait ignorer l’impact culturel de ce genre de
croyances. Ce n’était pas la première fois qu’il rencontrait des
récits où les phénomènes surnaturels étaient interprétés
comme des signes naturels. Était-il simplement le témoin d’un
phénomène naturel – peut-être un feu follet résultant de la
décomposition organique – ou avait-il effleuré une dimension
spirituelle qui échappait à sa compréhension occidentale ?
Au village, chaque manifestation inhabituelle dans le ciel ou la
nature était significative. Une lumière dans la nuit,
particulièrement rare et frappante, ne pouvait être qu’un
message des ancêtres ou des esprits. Lorsqu’un tel signe
apparaissait, il était presque toujours interprété comme un
présage lié à un événement majeur – souvent, la mort d’un chef
ou d’une figure respectée dans la communauté.
Au cours des jours qui suivirent, Evans-Pritchard apprit
effectivement qu’un notable d’un village voisin était décédé
cette nuit-là. Cet épisode, bien qu’étrange, illustra pour lui
l’importance des cosmologies locales dans la manière dont les
populations appréhendent et interprètent le monde. Il en tira
une leçon fondamentale pour son travail d’anthropologue : la
rationalité occidentale ne pouvait à elle seule saisir la richesse
et la profondeur des cultures qu’il étudiait. Même si son esprit
scientifique cherchait à expliquer ce qu’il avait vu, il comprit
que l’essentiel n’était pas le phénomène lui-même, mais sa
signification symbolique et spirituelle.
Dans l’obscurité, sous un ciel chargé de mystères, Evans-
Pritchard vécut cette nuit-là une rencontre inattendue entre
deux visions du monde : celle de la science et celle du
mysticisme.
Les lumières dans le ciel africain, bien que rares et troublantes
pour les témoins occidentaux, s’inscrivent dans un univers
culturel où le naturel et le surnaturel coexistent
harmonieusement. À travers le continent, des récits similaires
mettent en lumière une interprétation mystique des
phénomènes lumineux, souvent associée à des génies, des
esprits ou des signes annonciateurs d’événements majeurs.
Selon les traditions locales, les lumières mystérieuses, comme
les boules lumineuses observées à Kédougou, peuvent être
interprétées comme des manifestations des génies ou des
ancêtres. Les Konkomas, par exemple, sont décrits dans les
croyances ouest-africaines comme des esprits lumineux qui se
manifestent dans la brousse. Ces êtres surnaturels, souvent
bienveillants, sont perçus comme des gardiens de territoires ou
des médiateurs entre le monde visible et l’invisible. Dans les
récits des chasseurs, ils apparaissent fréquemment sous forme de flammes ou de points lumineux flottants, des descriptions
qui rappellent les expériences rapportées par les témoins.
Dans plusieurs cosmologies africaines, les phénomènes
lumineux ne sont pas simplement des curiosités naturelles mais
des messages spirituels. Une boule de lumière flottant dans
l’obscurité peut être interprétée comme un présage, souvent
annonciateur de la mort d’un notable ou d’un événement
important. Ces interprétations, profondément enracinées dans
une vision spirituelle du cosmos, montrent une capacité à lire
le monde naturel comme un langage codé des ancêtres ou des
forces invisibles. Les habitants de Kédougou auraient pu
interpréter les boules lumineuses comme un avertissement ou
une communication des esprits.

Grand baobab du village d’Iwol en pays Bedik
Les lumières observées pourraient aussi être reliées à des
pratiques mystiques. Chez les Bambaras et d’autres peuples de
la région, les phénomènes lumineux jouent un rôle central dans
les rituels de divination ou de communication avec les esprits.
Les devins, à l’aide de miroirs magiques ou d’autres objets
réfléchissants, cherchent à interpréter ces manifestations
comme des réponses à leurs questions spirituelles.
Les feux follets, causés par des émanations de gaz dans les
zones marécageuses, ou des phénomènes optiques liés à
l’électricité statique, pourraient expliquer certaines
observations. Cependant, pour les habitants de Kédougou, le
sens spirituel de ces manifestations semble bien plus significatif
que leur explication scientifique. Cette double lecture du
monde reflète la richesse des cosmologies africaines, où
science et mysticisme cohabitent sans contradiction apparente.
Un autre élément mérite d’être mentionné. En décembre 2023, Jann
Halexander, auteur-compositeur et créateur de UAP Afrique a évoqué la présence d’activités minières dans la région de Kédougou, notamment l’extraction d’uranium. Cette ressource stratégique a fait l’objet de recherches dès les années 1950 par le Commissariat français à l’Énergie Atomique (CEA), devenu plus tard la Compagnie Générale des Matières Atomiques (COGEMA). Entre 1975 et 1985, la COGEMA a
intensivement exploré le potentiel en uranium dans l’est du
Sénégal.
Certains chercheurs, comme Stéphane Royer dans son ouvrage
Ovnis et nucléaire : Sommes-nous sous surveillance ? (2021, JMG Éditions) postulent un lien possible entre les phénomènes OVNI et les
installations ou ressources nucléaires. Cette hypothèse, bien
que controversée, pourrait offrir un nouvel éclairage sur les
observations de lumières mystérieuses dans la région de
Kédougou, où la richesse du sous-sol pourrait attirer des
phénomènes encore inexpliqués. Ces interactions potentielles
entre activité humaine et manifestations inexpliquées méritent
d’être explorées davantage.
L’épisode des lumières dans le ciel nocturne de Kédougou
illustre la rencontre fascinante entre deux visions du monde : la
rationalité scientifique occidentale et les cosmologies africaines
riches en symboles. Ce que les témoins ont perçu comme un
phénomène inexplicable, les habitants locaux l’ont rapidement
intégré dans un cadre spirituel et culturel. Cet événement
rappelle que l’observation des phénomènes naturels, même
dans un contexte globalisé, reste profondément influencée par
le cadre culturel et les croyances des observateurs.
En fin de compte, les lumières de Kédougou demeurent un
mystère. Mais qu’elles soient le fruit d’une manifestation
naturelle, d’une présence spirituelle ou d’un jeu de
l’imagination, elles continuent d’interroger et d’enrichir notre
compréhension des interactions entre l’homme, la nature et le
sacré. Ce récit, témoin d’une nuit particulière, se transforme en
une réflexion universelle sur la manière dont nous
appréhendons l’inconnu.





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